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Plumicule
14 avril 2014

L'Etrange Histoire de Benjamin Button (The Curious Case of Benjamin Button)

L’Etrange Histoire de Benjamin Button (The Curious Case of Benjamin Button).

 

Parmi les nombreuses œuvres de l’auteur de la nouvelle que nous allons aborder, L’Etrange Histoire de Benjamin Button n’est pas à proprement parler l’un des écrits les plus remarquables car Francis Scott Fitzgerald, s’il s’est notamment distingué par la publication continue durant toute sa carrière de multiples nouvelles, est surtout connu pour son œuvre de romancier.

Angéline vous a parlé quelques jours plus tôt de Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby), une histoire touchante et merveilleusement écrite, remplie des couleurs de la fête derrière lesquelles se cache toutefois un personnage ambigu, au passé trouble, entouré d’un mystère qui l’enveloppe tout entier. 

Ce livre, bien que n’ayant pas reçu le succès escompté à sa sortie, est depuis devenu une œuvre culte, lue par un nombre croissant de lecteurs. Il s’est imposé aujourd’hui comme un des écrits majeurs de Fitzgerald, emblématique d’une époque de faste et miroir quelque peu déformé des démons qui rongeaient alors le cœur de son auteur.

Je ne reviendrai pas sur ce livre, ni sur la très belle adaptation qu’en fit Baz Luhrmann car Angéline en a très bien parlé. Citer ce roman était juste l’occasion pour moi de rappeler que Fitzgerald n’est toutefois pas l’homme d’un seul livre et qu’à côté de ses productions romanesques, il est l’auteur d’un très grand nombre de nouvelles, souvent écrites rapidement pour subvenir à ses besoins et dont certaines sont passées à la postérité, notamment grâce au cinéma. C’est le cas de L’Etrange Histoire de Benjamin Button, dont nous parlerons maintenant. Mais d’abord, un point sur l’auteur.

 

Francis Scott Fitzgerald  

Il est né en 1896, dans le Minnesota, précisément dans la ville de Saint-Paul, qui est encore aujourd’hui la capitale de cet état des Etats-Unis, coincé entre le Dakota du Nord et du Sud, l’Iowa, le Wisconsin et bordé, au nord, par les provinces canadiennes du Manitoba et de l’Ontario.               

Les années précédant et suivant immédiatement sa naissance sont marquées par plusieurs drames. Son père, Edward Fitzgerald, était un homme d’affaires dont les affaires allaient mal : deux ans après la naissance de Francis, il perd son emploi comme directeur d’une manufacture de meubles (celle-ci fait faillite) et est contraint de courir les routes comme commis-voyageur à la solde de Procter & Gamble dont les savons, entre autres, étaient alors connus et appréciés par de nombreux américains.                   

Le père et la mère de Francis, Mary McQuillan, descendante d’un irlandais immigré aux Etats-Unis à l’âge de neuf ans et ayant par la suite fait fortune dans le commerce de gros – self-made-man parmi les nombreux self-made-men que connut ce pays de tous les possibles – perdent leurs deux filles quelques mois avant la naissance de Francis. Trois ans plus tard, c’est une troisième fille qui meurt à sa naissance…

Francis Scott Fitzgerald, malgré les déconvenues financières de son père, reçoit une éducation soignée car sa mère a entretemps hérité : il intègre l’établissement privé Saint-Paul Academy avant d’être reçu, en 1911, à l’école Newman, un établissement très select dans lequel il publie ses premiers écrits, des poèmes. Deux ans plus tard, il arrive à Princeton, une des meilleures universités du pays et quitte donc un monde pour un autre, le Middle-West de Saint-Paul pour les cercles d’intellectuels de la côte est des Etats-Unis. Durant ses années de lycée et d’université, il côtoie la grande bourgeoisie américaine est tente de s’intégrer à ce monde fastueux qu’il lorgne avec envie. La nouvelle Un diamant gros comme le Ritz (The Diamond as Big as the Ritz) écrite en 1922, se fera notamment l’écho de cette période mais le recul des années passées permet à l’auteur de porter un regard ironique, voire cynique, sur cet étalage de richesses et sur les sacrifices consentis pour les garder.

A Princeton, il est plus occupé à tenter d’intégrer les nombreux clubs d’étudiants et à fréquenter les cercles des élites qu’à concentrer son temps et ses talents autour de ses études. Il les abandonne d’ailleurs bientôt et quitte Princeton sans être diplômé après avoir prêté sa plume à plusieurs reprises aux magazines Princeton Tiger et Nassau Literary Magazine.

C’est à l’armée, à Montgomery (en Alabama) où il est en garnison, qu’il rencontre celle qui va partager sa vie : Zelda Sayre. C’est afin de l’épouser qu’il entreprend la rédaction de ce qui sera son premier roman : L’Egoïste romantique. Après avoir été refusé deux fois par les Editions Scribner, dont le comité de lecture, par l’intermédiaire de Maxwell Perkins (sommité du monde de l’édition américaine de la première moitié du XXème siècle qui découvrit aussi des écrivains comme Ernest Hemingway, Thomas Wolfe ou encore Erskine Caldwell), lui demande de revoir presque entièrement la première version, le roman est finalement publié par cette même maison d’édition sous le titre L’Envers du paradis (This Side of Paradise), en 1920.

C’est le succès immédiat et les retombées financières dues aux ventes du roman permettent à Francis Scott d’épouser enfin Zelda, comme il l’espérait. Tous deux mènent une vie de bohème et dépensent sans compter. Ils voyagent notamment en France, sur la Côte d’Azur où ils font régulièrement étape dans des villas. C’est à cette époque, en octobre de l’année 1921, que naît leur unique enfant, Frances, surnommée « Scottie ».

Fitzgerald publie en 1922 Les Heureux et les Damnés (The Beautiful and the Damned) puis le recueil de nouvelles Les Enfants du Jazz (Tales of the Jazz Age) avant de s’attaquer au théâtre, en 1923, avec Un légume (A Vegetable, or From President to Postman), une pièce qui est un désastre et encourage Fitzgerald à abandonner définitivement le genre.

Repartis en Europe en 1924, Francis et Zelda retournent dans le sud de la France où l’écrivain entreprend la rédaction de ce qui deviendra un de ses chefs d’œuvres : Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby). De passage à Paris ils se joignent au groupe des artistes et intellectuels américains expatriés que Gertrude Stein – grande figure de la scène littéraire et artistique de cette époque et promotrice, entre autres, du cubisme – appellera la Génération perdue. A cette occasion, Fitzgerald rencontre Ernest Hemingway et lui fait lire son travail. Son compatriote trouve Gatsby excellent et encourage Fitzgerald à le faire publier. En fait, il est tellement admiratif du travail de Francis qu’il décide à son tour de publier des romans (il n’avait jusque-là publié que quelques nouvelles mais développait une intense activité de journaliste ; son premier roman paraîtra en 1926 ; il s’agit de The Torrents of Spring / Torrents de printemps).

Gatsby le Magnifique est publié en 1925, après être passé par les mains de Maxwell Perkins qui encense à son tour le roman. Toutefois, comme on l’a dit, le succès public, malgré une critique élogieuse, n’est pas au rendez-vous. C’est à ce moment que les relations entre Fitzgerald et sa femme se tendent. Notre auteur, qui s’adonne à la boisson depuis ses vingt ans, devient invivable à force d’excès et doit également mal digérer un tel revers de fortune après le succès, cinq ans plus tôt, de L’Envers du paradis.

En 1926, les deux amants retournent aux Etats-Unis où Fitzgerald rejoint l’année d’après l’United Artists d’Hollywood qui l’a engagé comme scénariste. Le texte qu’il produit est finalement refusé mais Fitzgerald travaillera à nouveau pour le cinéma en co-scénarisant Trois Camarades (Three Comrades) de Frank Borzage en 1938, Autant en emporte le vent (Gone with the Wind) de Victor Fleming et Femmes (The Women) de George Cukor en 1939.  

Parallèlement, l’état de santé de sa femme se détériore sévèrement : dès 1926 Zelda commençait à souffrir de troubles mentaux laissant soupçonner une schizophrénie. Celle-ci s’aggrave rapidement et sa carrière de danseuse, qu’elle entamait à peine, ne survivra pas à ses multiples séjours en cliniques. Les soins sont coûteux et Fitzgerald est obligé d’écrire à tour de bras des nouvelles pour divers magazines afin de subvenir à leurs besoins. Sa santé décline aussi rapidement que celle de sa femme : ne pouvant renoncer à la boisson, il devient esclave de son alcoolisme.

En 1933, le couple s’installe à Baltimore où Zelda est bientôt à nouveau hospitalisée. En 1934 elle tente de se suicider alors que ses toiles (elle s’était découvert une vocation pour la peinture) sont exposées dans la plus grande indifférence. C’est cette même année qu’est publié Tendre est la nuit (Tender is the Night), neuf ans après Gatsby. Malheureusement, le roman connut, à peu de chose près, le sort de son prédécesseur et ne permit pas à Francis et Zelda de mettre un terme à leur cauchemar.

Francis vécut ensuite une véritable période de dépression physique et morale. Harassé par ses problèmes financiers, usé par l’alcool, contraint à l’écriture de scénarii – travail qu’il détestait – il finit par mourir le 21 décembre 1940, à l’âge de 44 ans. Il travaillait à l’écriture d’un nouveau roman, Le Dernier Nabab (The Last Tycoon), et espérait sans doute pouvoir, à force de travail et de sacrifices, trouver enfin la reconnaissance tant attendue et sauver Zelda de sa folie.

 

Le livre         

L’Etrange histoire de Benjamin Button est une courte nouvelle d’abord publiée dans le Colliers Magazine le 27 mai 1922 et reprise dans le recueil Tales of the Jazz Age.

L’idée de départ est la suivante : comment pourrait se dérouler la vie d’un homme né avec le physique d’une personne de 75 ans et qui rajeunirait tout au long de sa vie. En somme, un homme qui vivrait sa vie à l’envers. Voilà une histoire qui promettrait d’être riche en rebondissements et en détails étonnants. Et pourtant, alors qu’il aurait certainement pu développer son récit sur de nombreuses pages, évoquant les uns après les autres tous les grands évènements de la vie d’un homme dont l’existence est à cheval sur deux siècles (elle commence en 1860), Fitzgerald respecte la règle de la nouvelle et offre au lecteur une histoire singulièrement synthétique, qui fait l’économie des longs développements et de la recherche d’effets.

Son œuvre n’en est pas moins fort bien construite et si l’on peut accorder un mérite à notre homme, c’est bien d’avoir réussi, en quelques pages seulement, à concentrer tout un drame. Pourtant la nouvelle s’ouvre avec humour, comme si l’on sentait que le narrateur ne prenait pas, tout d’abord, la chose au sérieux. Après tout, un individu qui vivrait à rebours des autres hommes, n’est-ce pas une situation relativement comique ? Certes oui, mais à bien y réfléchir, la farce cache une tragédie. Cet homme, dont les années qui passent le rapprochent inéluctablement de la jeunesse puis de la prime enfance, cet homme qui voit ses rides s’estomper, sa voix se raffermir, son œil s’aiguiser, ses désirs renaître, cet homme qui voit, en quelque sorte, son corps tout entier reprendre vie quand ceux qu’il côtoie et qu’il aime marchent irrémédiablement vers la mort, n’est-il pas plutôt maudit ?

Le comique devient pathétique : alors que ses rares cheveux blancs couvrent à peine son crâne de vieillard, nous le trouvons dans son berceau, les jambes pendant de chaque côté de celui-ci, à peine abrité sous la couverture dont on enveloppe les nouveaux-nés. Ainsi apparaît-il pour la première fois au lecteur et à son propre père, qui vient le chercher à la clinique au début de la nouvelle.

Puis c’est le jardin d’enfants : ses pauvres jambes fragiles, ses bras débiles, et son esprit, qui est celui d’un homme mûr qui n’a pas vécu, s’accommodent mal des gambades agiles et des rires éclatants de ses tout jeunes compagnons de jeu, qui sont l’innocence même. Benjamin Button préfère lire l’encyclopédie en fumant les havanes de son père.

Nous passerons sur le reste de ses déboires d’enfant de 70 ans. Fitzgerald, à ce stade de sa nouvelle, n’a pas encore abandonné ce ton comique, qui flirte assez, à vrai dire, avec un cynisme dont il est coutumier, et prend, somme toute, cette histoire du bon côté. Son style est clair et limpide, il ne s’encombre pas du superflu et saute d’année en année pour ne retenir de la vie de son héros, que les évènements susceptibles de renforcer cette sensation, grandissante, de malaise.

Et effectivement, au fil des pages, l’auteur assombrit son propos. Débutée comme un conte fantastique où se mêlent l’extravagance et l’humour, la nouvelle prend, en son milieu, un tournant beaucoup plus dramatique. En fait, c’est lorsque Benjamin prend véritablement conscience des conséquences possibles de sa particularité et qu’il constate qu’allant à rebours des autres hommes, il ne pourra jamais réellement être en phase avec ceux qui l’entourent, que le ton de Fitzgerald quitte vraiment l’engouement initial pour se teinter d’une amertume où transparaît la tristesse de son héros.

« Le processus continuait. Il n’y avait aucun doute –il paraissait maintenant trente ans. Au lieu de s’en réjouir, il éprouva une sensation de malaise – il rajeunissait de jour en jour. Il avait jusqu’alors espéré que, lorsque son apparence physique coïnciderait avec son âge réel, le phénomène aberrant dont il était victime depuis sa naissance s’arrêterait de lui-même. Il frémit de tout son corps. Son destin lui semblait incroyable et affreux. »

C’est particulièrement lorsque Benjamin et Hildegarde, sa femme, se rencontrent au milieu de leurs vies respectives, le premier voguant vers la jeunesse quand la seconde se désespère de vieillir, que le drame de l’existence de Benjamin prend toute son ampleur : sa femme, dans un accès de colère, lui reproche vivement son obstination à rajeunir alors qu’elle sait bien que son mari n’y est pour rien. Mais la phrase est blessante et renvoie Benjamin à son enfance passée dans les reproches de son père, qui lui non plus ne pouvait comprendre un tel coup du destin.

La solitude de Benjamin s’accentue à mesure que ses relations avec sa femme se dénouent. Les appétits de notre malheureux héros, dont la jeunesse est maintenant florissante, entrent en contradiction avec ceux d’Hildegarde. Il commence à s’intéresser à d’autres femmes, à courir les soirées huppées et délaisse son foyer. On en vient à penser que Benjamin cherche à tromper la mort dans l’excès et peut-être en cela faut-il voir un clin d’œil de Fitzgerald à sa propre vie car, comme on sait, l’auteur n’a cessé de brûler sa chandelle par les deux bouts.

Son fils lui-même le renie : en grandissant, il a pris conscience à son tour du malheur qui touche Benjamin et agit sans compassion vis-à-vis de son père. Plutôt que de le soutenir dans sa vie, il redoute le contact et va jusqu’à demander à Benjamin de l’appeler « oncle » plutôt que « père » car notre héros, rajeunissant toujours, paraît désormais plus jeune que son propre fils. En fait, Roscoe agit à l’encontre de Benjamin comme de nombreuses personnes : soucieux de garder un semblant de respectabilité, il cherche à imposer à son père ses propres règles, agissant en cela comme son propre grand-père, qui s’acharnait à faire jouer Benjamin avec un hochet et à l’habiller en enfant alors que celui-ci, bien que tout jeune, avait déjà tout à fait et l’esprit et le corps d’un adulte.

Ce même égoïsme transparaît dans plusieurs personnages secondaires comme le docteur Keene, qui a mis au monde Benjamin. Lorsque Robert Button, le père de Benjamin, s’approche de lui pour prendre des nouvelles de son fils qui vient de naître, le docteur a ces mots cruels :

« Quel effet, pensez-vous, que cette histoire aura sur ma réputation professionnelle ? Encore une histoire comme ça et ç’en est fini de ma carrière – ou de celle de n’importe qui d’autre d’ailleurs. »

Même son de cloche lorsque Benjamin s’adresse à l’infirmière. Celle-ci s’emporte et répond sèchement : « C’est absolument scandaleux ! La clinique va avoir une réputation épouvantable… ».

Hildegarde, sur ce point, n’est pas en reste. Alors que son mari évoque, un peu amusé quoique déjà très conscient de son problème, le fait qu’il rajeunisse toujours, elle rétorque :

« Tu ne veux pas être comme tout le monde. Tu as toujours été comme ça et tu le seras toujours. Mais pense un peu à ce qui se passerait si tout le monde faisait comme toi – dans quel monde vivrions-nous ? »

Enfin Roscoe, s’adressant à son père, se fait l’écho des sentiments de tous les protagonistes déjà cités : « Tu f’rais bien de virer de bord et de te remettre sur le droit chemin. Cette plaisanterie est allée beaucoup trop loin. Elle ne fait plus rire personne. Ca suffit – tiens-toi tranquille ! ».

Mais que peut Benjamin Button contre le destin ? En fait, la nouvelle de Fitzgerald est une peinture cynique de ce que subissent les personnes dont l’inadaptation à la société est perçue comme une tare. Si celle-ci peut être « soignée » alors allons-y, soignons-la, et tout rentrera dans l’ordre, dans l’acceptable. Mais si l’individu « s’obstine », reproche trop souvent fait à Benjamin au cours de cette nouvelle, alors on l’ignore et lorsqu’on ne peut plus feindre l’ignorance, on s’emporte contre lui, en l’accusant de tous les torts alors même qu’on ne devrait rien pouvoir lui reprocher. L’histoire de Benjamin Button est la triste histoire d’un homme qui, né sous une mauvaise étoile, voit tous ses proches lui tourner le dos, alors qu’il ne demande qu’à être aimé pour ce qu’il est : un homme, certes étrange, personne ne pourra le nier, mais un homme au même titre que ceux qui vivent leurs vies à l’endroit.         

 

         David Fincher

Le réalisateur de l’adaptation de la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald est désormais bien connu du grand public. Les succès critique et public de ses films, qui n’ont cependant pas toujours contenté ses producteurs estimant que Fincher n’était pas assez « bankable », l’ont confortablement assis dans la profession et ce, dès la seconde moitié des années 90.

Avant cette date, il s’était déjà distingué tout au long des années 80 et au début de la décennie suivante dans un autre registre, celui des vidéos clips pour la musique. On lui doit, entre autres, de nombreuses réalisations pour des artistes aussi divers et reconnus que Mark Knopfler (Storybook Story, 1987), Sting (Englishman in New York, 1988), Madonna (Express Yourself et Oh Father, 1989), Aerosmith (Janie’s Got a Gun, 1989), George Michael (Freedom ’90, 1990), Michael Jackson (Who Is It ?, 1993), The Rolling Stones (Love Is Strong, 1994) …

De fait, lorsqu’il se tournera vers le cinéma et la réalisation de longs métrages, ses travaux garderont indéniablement une empreinte de son passé de réalisateur de clips et se voudront très visuels. Il convient ici d’ajouter que Fincher, parallèlement à sa carrière dans les vidéos musicales, est également présent dans le monde des effets spéciaux : il est engagé en 1980 par Industrial Light & Magic, une société créée par George Lucas lui-même, et travaille dans ce cadre sur des films devenus emblématiques d’une génération toute entière : Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi (1983), L'Histoire sans fin (1984), Indiana Jones et le Temple maudit (1984) ou Le Secret de la pyramide (1985). De quoi lancer une carrière…

Son premier long métrage est un film d’horreur : Alien 3 (1992). La pression était énorme puisqu’on lui confie la suite des deux premiers volets, respectivement réalisés par Ridley Scott (Alien, le huitième passager, 1979) et James Cameron (Aliens, le retour, 1986), deux gros succès aux box-offices de l’époque. Bien que le succès commercial américain suffise à rembourser l’investissement de départ, les producteurs sont mécontents et le film de Fincher ne peut réellement se dire à la hauteur de ceux de ses prédécesseurs.

Son second film est le très célèbre Se7en (1995), qui inaugure la relation entre le réalisateur et Brad Pitt et lance la carrière du premier. Une fois n’est pas coutume, alors que nos articles parlent d’adaptations cinéma d’œuvres littéraires, Se7en a fait, a contrario, l’objet d’une novélisation, c’est-à-dire d’une adaptation en roman (novel, en anglais). On la doit à Anthony Bruno ; elle est sortie l’année même du film.

S’en suit The Game (1997), avec Michael Douglas et Sean Penn, qui, s’il est un demi-échec commercial, reste un très bon thriller psychologique. En 1999, Fincher retrouve Brad Pitt (accompagné d’Edward Norton et d’Helena Bonham Carter) et réalise le très controversé Fight Club, qui, là encore, a marqué toute une génération. En 2002, il sort Panic Room, thriller en huis-clos avec Jodie Foster, Kristen Stewart (eh oui), Forrest Whitaker et Jared Leto. Puis c’est au tour de Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo et Robert Downey Jr. de passer derrière sa caméra pour Zodiac (2007). L’année suivante sort le film qui nous intéresse : L’Etrange Histoire de Benjamin Button.

Fincher prend ici le contre-pied complet de tout ce qu’il avait fait jusque-là : réalisateur plus ou moins abonné aux films sombres à tendance fortement psychologisante, il rompt avec ses travaux antérieurs et tourne un film dramatique tout aussi fort que ses réalisations précédentes mais bien éloigné des canons esthétiques avec lesquels il avait jusque-là l’habitude de travailler.

 

Le film 

Lorsque Fincher entreprend de réaliser L’Etrange Histoire de Benjamin Button, il n’est pas à son coup d’essai en matière d’adaptation : Fight Club était déjà l’adaptation d’un roman de Chuck Palahniuk, un écrivain américain qui a à nouveau été adapté au cinéma en 2008 avec Choke (titre éponyme) de Clark Gregg (avec Sam Rockwell en premier rôle) mais ce film est plus ou moins passé inaperçu en France. Zodiac était également une adaptation du roman du même nom de Robert Graysmith. 

Fincher sait donc bien ce qu’il fait lorsqu’il met en images la nouvelle de Fitzgerald.

La première chose qui frappe le spectateur à la vision de ce film, c’est sa longueur, 2h40, alors que la nouvelle de Fitzgerald compte seulement une quarantaine de pages. Comment Fincher a-t-il pu distendre autant l’œuvre originale ? Cela s’explique facilement : son adaptation est loin d’être fidèle et à dire vrai, il ne se sert de la nouvelle que comme d’une base pour développer à son gré une histoire qui effectivement, aurait peut-être gagné, selon moi, à être un peu plus étoffée.

Je n’entreprendrais pas de résumer cette histoire merveilleuse, tendre autant que triste, pleine d’une nostalgie à travers laquelle perce malgré tout l’espoir. Ce film est indéniablement un chef d’œuvre et l’histoire d’amour entre Benjamin et Daisy est de la même matière que celle dont sont faits les rêves.

Admirablement mené, le film mélange histoire personnelle et Histoire des Etats-Unis, Benjamin Button vivant durant son existence hors-normes quelques-uns des grands faits marquants du 20ème siècle et notamment la bataille de Pearl Harbor, qui provoqua l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1942. Cette manière de lier les deux histoires permet à Fincher de donner à son film et, partant, à l’histoire personnelle de Benjamin Button, une dimension historique qui confère une nouvelle crédibilité à l’intrigue. Alors que Fitzgerald ne faisait allusion que d’assez loin à certains évènements de ce type, Fincher multiplie les scènes explicitement historiques pour faire de Benjamin un témoin du 20ème siècle, au même titre (mais dans un tout autre registre) que Robert Zemeckis, qui avait fait de Forrest Gump un témoin de ce même 20ème siècle en le faisant participer à des évènements aussi divers que la Guerre du Viêt-Nam, l’ouragan Carmen ou le scandale du Watergate et rencontrer des personnages célèbres, tels Elvis Presley, John Lennon ou encore John Fitzgerald Kennedy.

Notons également au passage que le scénariste en charge de l’adaptation de Benjamin Button à l’écran n’est autre qu’Eric Roth, un homme à qui l’on doit également le scénario de… Forrest Gump.

Qui dit Histoire dit évidemment reconstitution historique et il convient ici de tirer un coup de chapeau à Donald Graham Burt et Jacqueline West, respectivement en charge des décors et des costumes. Leurs travaux méticuleux, très bien documentés, contribuent fortement à l’immersion du spectateur dans les différentes époques traversées par le film.

Mention spéciale également pour quatre seconds rôles d’importance : Julia Ormond incarne toute en retenue Caroline, la fille de Benjamin et Daisy (Hildegarde ne devait pas sonner très bien aux oreilles de Fincher), qui découvre l’histoire de son père alors qu’elle assiste sa mère dans ses derniers instants (l’histoire de Benjamin Button est ainsi présentée sous forme de flash-backs et narrée tantôt par Benjamin, tantôt par Caroline, qui lit le journal de son père).

Jason Flemyng, un acteur britannique abonné aux seconds rôles importants (et que l’on a pu voir dans des films tels que Snatch, From Hell, Layer Cake, Kick-Ass, The Social Network ou encore X-Men : Le Commencement) est le père de Benjamin Button. Son jeu d’acteur est excellent et sa manière d’interpréter la culpabilité (dans le film il a abandonné son fils) vraiment touchante.

Citons aussi la grande Tilda Swinton, à la présence magnétique, qui incarne Elizabeth Abbott, une femme entre deux âges que rencontre Benjamin dans un hôtel russe où il fait momentanément étape. Elle sera celle qui initiera Benjamin à l’amour et s’en ira finalement comme elle est arrivée, dans un coup de vent. Si vous êtes allé au cinéma dernièrement vous aurez pu voir Tilda Swinton donner la réplique à Tom Hiddleston dans le dernier long métrage de Jim Jarmusch Only Lovers Left Alive.   

Enfin, last but not least, Taraji P. Henson. Elle interprète Queenie, la mère adoptive de Benjamin Button et incarne avec brio ce rôle central dans la construction de l’identité du héros. Son personnage est plus que crédible et l’actrice a indéniablement su donner à Queenie une épaisseur psychologique tout à fait nécessaire pour la rendre fortement attachante. Sa prestation a d’ailleurs été remarquée : Taraji Henson a été nommée en 2009 aux Oscars dans la catégorie Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle mais c’est finalement Penelope Cruz qui a été récompensée.         

Je sais que ceux qui ont vu L’Etrange Histoire de Benjamin Button m’en voudront si je ne parle pas de Cate Blanchett. Elle interprète la femme de Benjamin Button, Daisy, et forme avec Brad Pitt un duo fonctionnant à merveille. Il fallait certainement une actrice de cette ampleur pour donner la réplique à Brad Pitt. Il ne fallait qu’à aucun moment un personnage prenne le pas sur l’autre et présenter au spectateur un échange de même niveau, une histoire se formant sur un pied d’égalité.

Ainsi la belle Cate Blanchett, danseuse qui plus est dans le film (un clin d’œil de Fincher à la carrière avortée de Zelda Fitzgerald ?), incarne-t-elle une Daisy amoureuse et dévouée, mais dont l’amour et la dévotion ne font pas d’elle un faire-valoir de son mari. A aucun moment elle ne s’efface devant Benjamin et si l’on doit bien accorder un mérite à celle qui a reçu l’Oscar de la meilleure actrice cette année pour son interprétation dans Blue Jasmine de Woody Allen, c’est bien d’avoir su incarner pleinement une femme forte qui fait fi du destin ; une femme dont l’insatiable amour pour son mari finit par l’emporter malgré les épreuves et l’amène, au seuil de la mort, à murmurer encore son nom.

Fincher signe avec Benjamin Button un grand film, un très grand film. En fait, c’est un véritable chef d’œuvre. Il sublime magnifiquement l’histoire initiale et permet à Fitzgerald d’être redécouvert par beaucoup. Une reconnaissance posthume pour un homme qui semble avoir toute sa vie couru derrière la reconnaissance littéraire et qui est aujourd’hui considéré comme un des auteurs majeurs de la littérature américaine du 20ème siècle.    

 

                       Martin, de l'équipe Plumicule.

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